1950 – 1997: «Golf Revue» et «Golf & Country» des pépites de l’histoire du golf Suisse
Il a fallu le talent et la ténacité d’Otto Dillier, alliés à la passion de Pierre Ducrey, ainsi que les services techniques des éditions Weber à Thoune, pour que nous puissions aujourd’hui fouiller dans les pages de l’histoire du golf suisse depuis 1950. Nous vous présentons ici quelques perles et curiosités, ainsi qu’un choix d’informations passionnantes sur le monde du golf national et international, tirées de l’immense contenu de centaines de revues numérisés. Puisse cela éveiller l’envie chez nos lectrices et lecteurs de consulter l’une ou l’autre revue sur le site de Swiss Golf, afin de lire des articles en version originale.
1950–1959
Commençons par le premier numéro (1/1950), qui s’appelait tout simplement «GOLF» et publiait un reportage sur «Les quinze jours de Crans 1949». Durant ces deux semaines, plusieurs tournois ont eu lieu – avec la participation du rédacteur en chef Otto Dillier – dont «The Open Championship» avec 31 professionnels de huit pays. En d'autres termes, il s’agit de la suite du tournoi organisé à Crans en 1939, puis interrompu pendant la Deuxième Guerre mondiale, qui est devenu le Swiss Open et s’appelle European Masters depuis 1983.
A ne pas manquer, cette publicité de la «voiture idéale pour les golfeurs», la nouvelle Fiat 500 C Belvédère à quatre places, posée bizarrement en travers de la route, comme adossée à un arbre penché, et qui disposerait de «suffisamment de place pour les sacs de golf et autres bagages». Peut-être s'agit-il tout simplement d’une tentative précoce de rapprocher le golf du peuple suisse!
Otto Dillier, alias «Dizzy», un pionnier doué et controversé
Otto Dillier, alias Dizzy, était ce qu’on appelle «une tronche». Un homme à la fois jovial et colérique. Un des meilleurs golfeurs amateurs de Suisse, membre du cadre national, il fut dès 1950 le fondateur, éditeur et rédacteur en chef de la «Revue suisse de golf», dont le but était de «resserrer les liens entre amis golfeurs». «Encore un nouveau journal», écrivait-il dans le premier numéro, soulignant le scepticisme général que rencontrait cette publication. Si l’ASPG, l’Association suisse des professeurs de golf, l’a aussitôt adoptée comme organe officiel, l’ASG a attendu 30 ans avant de faire le pas. Pourquoi?
En 1978, 28 ans après la fondation de la revue, Otto Dillier a passé le flambeau à son fils Urs. Et ce n’est probablement pas par hasard que l’ASG a décidé, quelques mois plus tard, d’enfin reconnaître «Golf & Country» (la nouvelle appellation depuis 1975) comme son organe officiel… En remerciant l’ASG d’avoir finalement franchi le pas, Otto Dillier note: «Beaucoup de messieurs influents (les dames n'avaient pas encore leur mot à dire – elles étaient tout au plus tolérées avec bienveillance!) restaient
sceptiques, voire hostiles envers ce périodique. Quoi qu'il en soit: à l’époque, notre association de golf (ASG) ne voulait rien avoir à faire avec ce journal.» Cette hostilité n’est pas tombée du ciel. Car à l’époque, Otto Dillier, membre du Golf Club Lucerne, s’était sérieusement brouillé, entre autres, avec le Lucernois Charles Falck, personnage marquant du golf suisse et bientôt européen. Les ponts étaient définitivement rompus. Dillier a même quitté son home club pour s’expatrier à Zürich Zumikon d’abord, à Bad Ragaz et Niederbüren ensuite.
Quoi qu’on en dise, Dizzy était un pionnier têtu et talentueux. La «Revue suisse de golf», bilingue français-allemand (avec parfois même de l’anglais), était un miracle qui a existé pendant presque 50 ans et qui représente aujourd’hui une mine d’or de renseignements sur l’univers du golf, à la fois suisse et international, pendant la deuxième moitié du siècle dernier. Dillier a réussi à trouver les financements nécessaires par la publicité, par les clubs qui l’ont adoptée comme organe officiel (Berne et Dolder dès 1955, puis une dizaine d’autres au fil des ans), par le soutien de l’Open Suisse de Crans, par des donations et aussi par l’ASG, qui accordait malgré toute la rogne une subvention annuelle à la revue, en échange du «Communiqué de l’ASG» publié dans chaque numéro.
Puisque la plupart des revues des sept premières années sont toujours recherchées, nous faisons un saut à l’année1955. La revue paraît désormais sept fois par an, au prix d’un abonnement de 12 francs et est l’organe officiel de deux clubs, Berne et Zurich-Dolder.
Il n’y a pas encore d’éditorial mais les chroniques habituelles comme L’ASG communique, Dr Bärner Egge (le coin bernois), des informations du GC Zurich-Dolder, des comptes-rendus de tournois avec de pittoresques images en noir et blanc, le long calendrier des tournois programmés en Suisse, les résultats des événements nationaux et régionaux, des comptes-rendus de plusieurs pages sur l’Open de Suisse à Crans et sur les grands tournois aux Etats-Unis, le Greenkeepers Corner, un quiz sur les règles, de l’humour et toujours les inénarrables coiffures de RYF. D’autres annonceurs fidèles suivront bientôt: Pringle of Scotland, Fein-Kaller, Feldpausch, les équipementiers, les limousines élégantes et les grandes compagnies aériennes. Les couvertures montrent principalement des stations – Locarno, Ascona, Crans, Davos, St. Moritz et leurs hôtels – et se combinent avec un contenu rédactionnel, c’est-à-dire qu’elles génèrent des revenus pour la revue!
Cette revue est produite avec des bouts de ficelle, mais avec de l’imagination et des idées originales, comme ces articles de fond sur l’origine du golf sur les côtes écossaises, balayées par le vent. Ou les brèves repérées par Marina Ducrey sur toute la planète golf, ou encore l’évolution du golf outre-Atlantique, toujours mise en rapport avec le développement plus ardu du golf en Suisse.
Parmi les nombreux résultats de tournois publiés dans ces premières années, nous n’en retiendrons qu’un seul: le championnat de Suisse orientale 1957 à Lenzerheide, remporté par Otto Dillier devant un certain Pierre Ducrey. L’étudiant lausannois, tout juste nommé rédacteur romand de la «Revue suisse de golf», avait eu la sagesse de laisser la priorité à son patron! (3/1957)
Pierre Ducrey, un historien passionné de golf
Pierre Ducrey, historien de l’Antiquité et ancien recteur de l’Université de Lausanne, a la passion du golf depuis sa jeunesse. Membre du Golf Club de Lausanne, il a été sacré champion de Suisse junior (1956 et 1957) et s’est engagé – encore étudiant – pour la création d’un mouvement junior en Suisse. Il fut membre du cadre national (1957-1963) et capitaine ASG des juniors suisses (1958-1962).
C’est au sein de l’équipe nationale qu’il a fait la connaissance d’Otto Dillier et lui a proposé d’écrire des articles pour la «Revue suisse de golf». Pendant un quart de siècle (1957-1982), Pierre Ducrey a été le rédacteur responsable de la partie française de la revue (assisté par sa femme Marina) et en a conservé tous les numéros depuis 1957. Les Ducrey étaient payés 20 centimes la ligne et 10 francs la photo. Parfois, les honoraires étaient également versés en nature, par exemple sous forme de bons de coiffure pour Marina chez RYF (un annonceur fidèle) ou d’accréditations comme journaliste-photographe à des tournois de golf à l’étranger.
Ce qui est unique, c’est la manière dont les deux golfeurs d’élite, Dillier et Ducrey, ont produit pendant tant années, à temps partiel mais avec passion et de bonnes idées, un journal de golf original et intéressant.
Pierre Ducrey a fait don de l’ensemble de ses archives de 1957 à 2002 à la fédération. Grâce à lui, Swiss Golf dispose aujourd’hui d’archives presque complètes de la «Revue suisse de golf», tout comme des tirages et des négatifs de sa collection photographique. Cette véritable mine d’or a été numérisée et est à votre disposition sur le site de Swiss Golf. La plupart des numéros de la revue des sept premières années sont toujours recherchés. A partir de 1958, 6 à 8 éditions de 30 pages ont paru chaque année.
Vingt ans après son premier article, Pierre Ducrey a tiré un bref bilan: la Revue s’appelait désormais «Golf & Country» et les 12 numéros annuels avaient doublé de volume (60 pages). A cette époque, l’équipe suisse avait terminé 9e aux Championnats du monde, la Suisse disposait désormais à la fois d’équipes nationales juniors et dames, ainsi que d’une trentaine de clubs avec 7000 adhérents au total. Mais l’image du golf est restée négative dans l’opinion publique. Pierre Ducrey se demandait: «Par quel miracle le golf suisse parvient-il à être aussi dynamique tout en étant coupé des bases qui font la force d’un sport – la masse, les jeunes?»
En 1957, Pierre Ducrey, adresse une lettre ouverte au président de l’ASG H.C. Wehrli avec la question suivante: «Que fait l’association pour populariser le golf auprès des jeunes? Essaie-t-on de créer une élite junior dans le pays?» Il présente un plan en sept points. L’année précédente, Ducrey était devenu champion suisse junior et avait constaté lors d’un tournoi en France qu’il existait déjà un mouvement junior chez nos voisins. Dans les années à venir, il ne lâchera rien, jusqu’à ce que les juniors suisses obtiennent des succès internationaux. Le président de l’ASG admet alors que «le développement de la relève est encore un peu laborieux» et nomme Otto Sulzer de Winterthur comme nouveau responsable juniors et Pierre Ducrey lui-même comme capitaine juniors de l’ASG. Cet échange est d’autant plus remarquable que l’ASG ne reconnaît toujours pas la «Revue suisse de golf» comme organe officiel, mais mène pourtant un débat sur le golf suisse dans ce même journal! (6/1957)
En 1958, le mouvement junior prend son envol, un brevet sportif permet aux juniors de jouer librement sur tous les terrains de Suisse, des entraînements juniors réguliers sont organisés dans de nombreux clubs et les meilleurs juniors participent à des camps au niveau national. Un an plus tard, l’équipe suisse junior participe pour la première fois à un tournoi international (Quadrangulaire en France).
Dr Bärner Egge annonce la dernière saison sur le Gurten, Blumisberg est déjà en construction. Lors du premier Eisenhower Trophy (championnat du monde amateur par équipes), les Suisses se classent au 14e rang sur 29 nations à St Andrews. Olivier Barras et Peter Gütermann, nos deux représentants, constatent que les Britanniques et les Américains drivent en moyenne 30 à 50 mètres plus loin qu’eux et ont besoin de 3 à 5 coups de moins par tour!
En 1959, le premier Européen par équipes a lieu à Barcelone (7-8/1959). Nos deux rédacteurs Otto Dillier et Pierre Ducrey font partie de l’équipe suisse. Ce dernier est sidéré par l’état incomparable des fairways et des greens «comme on n’en trouve nulle part en Suisse». Les Suédois gagnent haut la main, les Suisses se classent 7èmes, juste devant les Hollandais! Tant pis! Il neige déjà à Davos, et les dix ans de la «Revue suisse de golf» sont bien plus importants. «Un bébé en bonne santé malgré les pessimistes», note Otto Dillier, fier à juste titre (12/1959).
1960–1969
Comment rendre le golf suisse plus compétitif? Cette question tarabuste les esprits dès le début des années soixante (7/1960). A cette époque, l’élite suisse se limite à une douzaine de joueurs, une centaine de Suisses ont un single handicap. Il y a aussi une centaine de juniors (U21 à l’époque), dont 15 possèdent un handicap de 15 ou moins. Le golf touche 0,02% de la jeunesse suisse. Seules six dames ont participé au championnat suisse cette année. Pierre Ducrey énumère ces statistiques avec regret. Que faire? D’abord doubler le nombre de golfeurs et golfeuses de 2000 à 4000, ensuite mobiliser les jeunes et la presse et démocratiser le golf, propose-t-il.
Ce débat surgira régulièrement. Otto Dillier constate également que non seulement il n’y a pas assez de terrains, mais que ceux-ci sont souvent construits ou rénovés sans réflexion sur la technique de golf et sans avoir recours à un architecte de golf (4/1961). «Jouer au golf sur des terrains douteux est un leurre», note-t-il, tout comme les handicaps trop élevés des «cup-hunters» qu’il déteste, ou les golfeurs qui ne remettent pas les divots, qui jurent et ne laissent pas passer les flights, qui assistent aux tournois en talons aiguilles, amènent leur chien et traversent les fairways pendant le jeu ... (voir aussi son éditorial «Droit du plus fort ou étiquette», 3/1962).
L’ASG ne reste pas inactive: en 1962, le Belge Flory van Donck (double vainqueur de l’Open de Suisse, champion du monde en 1960) est engagé pour deux mois comme coach de l’élite suisse. Dans un éditorial (2/1963), Pierre Ducrey suggère que le cadre national de golf soit subventionné, comme le sont nos équipes de ski. Excellente idée! Mais malheureusement, le golf est encore loin de conquérir les cœurs des Confédérés au même titre que le ski ...
Pendant ce temps, sur le gazon …
Dans le Greenkeepers Corner, on constate comment les machines d’entretien des terrains évoluent, tandis que les engrais chimiques restent la règle. Les premiers signes de durabilité ne se font pourtant pas attendre. «Les golfeurs sont généralement aussi des amoureux de la nature», peut-on lire dans l’éditorial (8/1962), qui reproduit un appel du WWF Suisse sous le titre: La préservation des paysages naturels – une nécessité pour les hommes et les animaux. «Il est de la plus haute importance de préserver, si possible sans restriction, les reliques du paysage originel», note le WWF. Nous sommestout au début du grand débat golf et environnement qui, depuis les années 1970 jusqu'à aujourd’hui, donne lieu à des discussions enflammées et souvent chargées d’idéologie entre les protecteurs de la nature et les partisans du golf, et qui explique pourquoi, pendant longtemps, pratiquement aucun nouveau golf n’a vu le jour en Suisse.
Mais accordons-nous un moment de légèreté sur le thème du gazon:
Un autre grand débat agite la scène internationale du golf: à partir du 1er janvier 1964, le golf ne sera plus joué selon des règles uniformes dans le monde entier. L’USGA et le R&A n’ont pas réussi à se mettre d’accord ni sur les règles ni sur la taille des balles. Les divergences durent depuis 1951, lorsque l’USGA autorisait uniquement le jeu avec une balle plus grande (diamètre 1,68 pouces), alors que les Britanniques toléraient encore la plus grande balle américaine à côté de la petite britannique (1,62 pouces). Lors de la dernière Walkercup Conference, qui a lieu tous les quatre ans à Turnburry, le fossé de 6 centièmes de pouce n’a pu être comblé. A partir de 1964, toutes les fédérations affiliées au Royal & Ancient Golf Club of St Andrews, donc aussi la Suisse, devront utiliser la petite balle. Selon le pays hôte, il en va de même pour les tournois internationaux. A cela s’ajoutent quatre nouvelles règles que les amateurs trouveront dans le numéro 1/1964, ainsi que dans l’article «An answer to the critics of the big ball» (2/1964).
Olivier Barras, 32 ans, probablement le plus grand talent de tous les temps qu’a connu le golf suisse, meurt tragiquement dans un accident sur le circuit de Monza le 21 juin 1964. La vitesse, sa dernière passion, l’a emporté. Sympathique, modeste, doué, aimé. Dix fois champion de Suisse, trois fois (1956-58-60) membre de l’équipe continentale contre la Grande-Bretagne. Un modèle à tous les égards. Il laisse derrière lui une femme et un fils de 3 ans. Des milliers de personnes lui rendent un dernier hommage, dont le conseiller fédéral Roger Bonvin. Le Valais est inconsolable: «Notre Olivier a disparu.» Un an plus tard, le Mémorial Olivier Barras verra le jour à Crans-sur-Sierre.
Otto Dillier annonce un petit boom du golf en Suisse (1/1965) avec plusieurs nouveaux parcours en plus des aménagements d’installations existantes. Il y voit «des signes qui ne trompent pas, à savoir que le golf gagne du terrain dans notre pays» et cesse d’être considéré comme une «activité de vieux garçons».
En rapport avec le sujet, l’article de Bernhard von Limburger «L’architecture de golf» (en allemand). Le célèbre spécialiste y écrit notamment que la beauté d’un parcours n’est pas automatiquement synonyme de valeur sportive ou que 6000 mètres de longueur ne disent rien sur les difficultés d’un terrain. L’ASG offre d’ailleurs aux clubs la possibilité de faire évaluer leur parcours par des architectes de golf internationaux (5/1965), afin d’aligner la qualité de nos terrains sur les normes internationales.
D’où viennent les bunkers?
Restons encore sur la construction de parcours: Bernhard von Limburger explique le sens et le non-sens des bunkers dans un article passionnant (6/1965) que nous résumons en français.
Les links écossais avaient surgi de manière naturelle dans les dunes écossaises. On plantait les drapeaux dans le sable aux endroits où les lapins avaient grignoté l’herbe. Lorsque l’usure faisait ressembler ce «green» à une baignoire, on cherchait tout simplement un nouvel emplacement pour le trou. Ce n’est qu’au 18e siècle que les terrains écossais ont adopté un parcours fixe avec la même séquence de trous, dotés de petites surfaces de putting. Les drives atterrissaient donc souvent aux mêmes endroits, creusant des trous dans le sable, qui, soufflés par le vent, formaient des bunkers au fil du temps. C’est la grande différence entre les parcours écossais, naturels, et les parcours anglais créés par l’homme, ce qui a notamment influencé le placement des bunkers, souvent sans imagination et stéréotypés selon Limburger: «Chaque trou ressemblait au suivant, car le seul but à cette époque était de punir les mauvais coups.»
Au début du 20e siècle, il n’y avait pratiquement pas d’architectes de golf, les nouveaux parcours étaient «tracés» par des professeurs de golf qui désignaient neuf points où l’herbe était tondue pour les greens et neuf autres pour les tees. «Les magnifiques terrains naturels d’Écosse n’avaient rien à voir avec les constructions artificielles, laides et ennuyeuses dans le reste du monde.» Au fil du temps, les bons golfeurs ont remarqué que quelque chose clochait et ont commencé à étudier les terrains. C’est ainsi qu’est née la profession d’architecte de golf, et à partir de ce moment, les bunkers ont rempli un tout autre objectif: au lieu de punir les mauvais joueurs, les bons coups ont été récompensés lorsqu’on prenait un risque et qu’on s’en sortait. La récompense a remplacé la punition.
Nous faisons un «fast-forward» vers 1990: la revue n° 5 montre sur sept pages lessorties de bunker de Severiano Ballesteros dans des positions impossibles. L’Espagnol, 32 ans, trois fois vainqueur du British Open et deux fois de l’US Masters, est au zénith de sa carrière. Il vient presque chaque année à Crans et a déjà remporté trois fois l’Ebel European Masters/Swiss Open (1977-78-89).
Rough or no rough? demande von Limburger (10/1966), expliquant qu’aux origines, le golf était un combat contre la nature. La balle s’enfonçait dans la lande, se faufilait dans des buissons épineux, dans l’herbe sauvage ou dans les traces des charrettes agricoles. Il n’empêche que les Écossais bouclaient leurs 18 trous en deux heures et demie. «Les Américains ont inventé la lenteur insupportable dans le golf», déplore von Limburger, si bien que d’aucuns demandent la suppression du rough pour éviter de longues recherches de balles. Ne construisez pas de chicanes pour les mauvais joueurs, recommande-t-il, le semi-rough, les bunkers et autres obstacles peuvent remplacer le rough.
En 1965, deux joueurs genevois de niveau national, Guy Jacques-Dalcroze et François-Michel Ormond, effectuent une année d’études post-graduate aux Etats-Unis (10/1965). Le premier au Babson Institute, Massachusetts, où il affronte parfois les équipes d’autres Colleges, les frais de déplacement et les balles étant offerts par l’université. Ormond étudie à la California Western University, sans équipe de golf. Pour pouvoir jouer dans un club privé américain, il doit être invité par un membre. «Un green fee coûte 10 dollars, le caddie obligatoire autant», se plaint l’étudiant, qui joue donc le plus souvent sur les parcours publics de San Diego, ouverts jusqu’à 22 heures et coûtant 2 dollars. Le problème, c’est l’affluence massive, si bien que François-Michel partage généralement son flight avec des golfeurs débutants!
Jack Nicklaus le «Leading Money Winner» remporte la somme «fabuleuse» de 140’752 dollars durant la saison 1965. En 1967, Arnold Palmer le surpasse avec des gains annuels de 182’393 dollars. A 39 ans, souffrant de problèmes de dos, Palmer songe déjà à prendre sa retraite. Un an plus tard, Nicklaus le dépasse à nouveau avec 211’566 dollars, une somme qui n’a rien à voir avec ce qu’il gagne à côté du golf. Les deux Américains multimillionnaires sont commercialisés par l’agence McCormack. La Jack Nicklaus Corporation est estimée à 200 millions de dollars. Arnold Palmer Enterprises n’est pas en reste.
François-Michel Ormond énumère les émissions de golf à la télévision américaine:
- 26 retransmissions en direct de tournois, généralement en couleur, filmés avec 14 caméras.
- Shell’s Wonderful World of Golf, organisé dans 11 pays sous la forme d’un match opposant deux superstars.
- CBS Match Play Classic: 16 équipes jouent en double, la dotation est de 160’000 dollars.
- Big 3 Golf: Nicklaus, Player et Palmer s’affrontent sur quatre tours.
- Sam Snead donne des leçons de golf à la télévision.
En 1965, le golf occupe déjà la première place de tous les sports pratiqués aux États-Unis, où l’on compte, selon la National Golf foundation, 8323 parcours (privés, semi-privés et publics) et 7,75 millions de golfeurs et golfeuses, soit en moyenne 1 terrain de golf pour 24’000 habitants. A cela s’ajoutent 163 parcours d’universités, 116 parcours d’entreprises et 4500 driving ranges.
En comparaison, la Suisse compte 1 parcours pour 200’000 habitants. L'ASG compte 25 clubs affiliés et 3660 membres au total (1966). La situation semble presque archaïque. En 1965, la télévision suisse diffuse (exceptionnellement) un reportage sur l’Open de Crans. La presse ne s’intéresse que rarement au golf. Selon Dizzy, le «Sport» de Zurich publie un reportage plein d’erreurs sur l’Open de Suisse (9/1968) et le magazine français «ELLE» sort un nullissime reportage sur les golfeuses seniors. «Insultant, voire indélicat», juge Dizzy.
«Il n'y a pas assez de terrains difficiles en Suisse, ni de relève enthousiaste», déplore de son côté Pierre Ducrey (1/1967). Bonne nouvelle: l’ASG engage Roger Cotton comme nouvel entraîneur des juniors. Ce Français du Midi, meilleur playing pro de France pendant des années avec Jean Garaialde, va rapidement amener les juniors suisses vers de nouveaux sommets. Tommy Fortmann et Yves Hofstetter joueront en janvier l’Orange Bowl à Miami contre les 170 meilleurs juniors U18 du monde. Hofstetter termine 51e, Fortmann 65e.
Durant l’été 1967, les Suisses terminent deuxièmes derrière la Suède aux Européens juniors U21 par équipes à Penina (Portugal) et reçoivent le Prix de Coubertin du fair-play, parce qu’ils ne voulaient pas gagner pour un vice de forme (un joueur suédois avait à son insu le wedge de son caddie et donc 15 clubs dans son sac). Le Suédois a gagné mais a été disqualifié. Les Suisses ont donc offert le dernier match aux Suédois. Sans ce geste, la Suisse aurait remporté la victoire.
1970–1979
La «Revue suisse de golf» a 20 ans et prend des couleurs, y compris les publicités grand format de cigarettes, si exotiques de nos jours! Le journaliste sportif Dick Severino (Golf World) signe dorénavant une chronique depuis les Etats-Unis. La Fédération européenne de golf et la PGA britannique mettent fin à la concurrence qui existait jusqu’ici entre les circuits de Grande-Bretagne et d’Europe continentale. Une bonne nouvelle pour l’Open de Suisse, qui est rattaché à l’European Tour à partir de 1971 et qui distribue déjà 125’00 francs de prize money (25’000 pour le vainqueur) en 1973. Encore une bonne nouvelle: la télévision suisse retransmet pour la première fois l’Open de Suisse en direct.
En 1972, les juniors suisses U21 remportent(pour la seule fois à ce jour) le championnat d'Europe par équipes à Einthoven en battant les favoris suédois. Deux juniors de cette équipe, Yves Hofstetter et Tommy Fortmann, sont en outre sélectionnés dans l’équipe continentale U21 contre la Grande-Bretagne/Irlande. Le non-playing captain Martin Hodler (lors des deux événements) et le coach national Roger Cotton ont fait du bon travail!
Le Sud-Africain Gary Player est menacé à cause de l’apartheid (sur laquelle il n’a jamais clairement pris position) et joue en compagnie de gardes du corps. Le Mexicain Lee Trevino, ancien garçon des vestiaires, devient numéro 1 mondial,en 1970. Il gagne 157’000 dollars et offre généralement une grande partie de ses gains à des œuvres caritatives. Jack Nicklaus a déjà 11 Majeurs à son actif, mais son pote Arnold Palmer dépose néanmoins une plainte contre lui à l’US Open pour «slow play»!
Le prize money monte en flèche aux Etats-Unis: en 1972, Jack Nicklaus encaisse déjà 320'542 dollars pour la saison. (A titre de comparaison: en 2024, la dotation record d’un tournoi est de 25 millions au Player’s Championship et les 37 tournois du PGA Tour distribuent au total 400 millions de dollars de prize money).
Les premiers robots de gazon, inodores et silencieux, font leur apparition, un plus pour l’environnement. En automne 1971, le Tribunal fédéral de Lausanne annule la décision négative prise en première instance et donne le feu vert à la construction d’un terrain de golf à Neuchâtel. «Quelques centaines de milliers de mètres carrés de terrain restent une précieuse réserve naturelle. Le bon sens des juges lausannois pourrait faciliter à l’avenir les négociations avec les autorités et la protection de la nature», espère Dizzy. Le même argument vaut pour Genève, où le golf déménage d’Onex à Cologny/Vandœuvres, préservant un immense domaine de la spéculation immobilière (4/1973), ou pour le golf de Lausanne, où 10’000 arbres ont été plantés ces dernières années.
Lors de l’AG de fin 1973, l’ASG se dote de nouveaux statuts, le comité est élargi et cinq nouvelles commissions sont constituées: sport d’élite, pros, calendrier/administration, parcours/handicap et seniors. Pierre Ducrey regrette une fois de plus que le ressort presse/communication soit reparti bredouille.
Pour cette fin d’année 1973, voici quelques publicités drôles, grâce auxquelles la revue survit. RYF, par exemple, publie une ou plusieurs pubs dans chaque numéro. Une phénoménale coiffure pour les fêtes, assortie aux modèles partnerlook de Feldpausch pour la plage. RYF propose aussi un kit d’essai contre la calvitie pour 27 francs. Dans le pire des cas, il y a le RYF-Hair-Dress, un postiche pour golfeurs qui tient sous la douche ...
En 1974, le Golf Ascona installe des caméras pour traquer les tricheurs qui ne remettent pas les divots, endommagent les greens, font réapparaître une balle perdue par un tour de magie, etc. Avec trente points de pénalité on est interdit de parcours pendant 30 jours! Une bonne occasion de se rendre à Majorque, prise de vertige par le boom golfique!
Pendant ce temps, Lausanne et quelques autres clubsouvrent leurs terrains aux caddies afin de stimuler la promotion de la relève. Excellente initiative! Certains caddies sont devenus des joueurs nationaux, voire des professionnels sur le circuit, à l’instar du Lausannois Francis Boillat.
En 1975, la revue fête son 25e anniversaire et s’appelle désormais «Golf & Country». Le programme rédactionnel s’élargit, mais chaque numéro continue de présenter le calendrier et les résultats des tournois en Suisse, des informations de l’ASG, un quiz sur les règles, des galeries photos de champions qui puttent, chippent ou drivent, des équipements, des mots croisés, la mode, des hôtels et parcours, des croisières, Dick Severino (Golf Features) et bientôt une rubrique bridge avec Nicola Nikitin, l’un des meilleurs joueurs de bridge suisses.
En 1975, le Golf Club de Genève accueille pour la première fois dans notre pays les championnats d’Europe juniors. Le nouveau capitaine junior de l’ASG s’appelle Yves Hofstetter, joueur national, qui a de grands mérites dans le golf suisse et européen. L’année précédente, le Lausannois avait remporté le Championnat international de Suède (depuis la victoire d’Otto Dillier aux Internationaux d’Autriche 1958, aucun Suisse n’avait gagné un championnat à l’étranger).
En 1975, une polémique s’enflamme sur le thème golf et environnement. Jost Krippendorf, directeur de l’Institut du tourisme de l’université de Berne, écrit dans le bulletin mensuel de l’Union de Banques Suisses: «Le paysage est une matière première, la base vitale et le moteur économique du tourisme ... l’attrait du tourisme, ce ne sont pas les hôtels, les téléphériques ou les téléskis, les casinos ou les boîtes de nuit, ce ne sont pas non plus les terrains de golf, les patinoires ou les piscines couvertes.» Pierre Ducrey répond sèchement que les golfs sont la meilleure défense contre l’expansion démesurée du secteur immobilier et cite en exemple le Haut-Plateau de Crans-Montana: près d’un million de mètres carrés ont été préservés de la construction grâce au golf, et une centaine de propriétaires possèdent ces terres entretenues et arborées. «Nous pensons donc que la création de nouveaux golfs devrait être absolument encouragée au nom de la protection des paysages», souligne-t-il. Ce débat est resté un thème permanent jusqu’à aujourd’hui, y compris les actes de vandalisme commis en mai 2023 sur plusieurs terrains de golf de Suisse romande.
Gaston Barras, «Monsieur Golf», raconte comment il réussit chaque année de ficeler le «miracle de l’Open de Suisse». En 1975, le budget se monte à 300'000 francs (dont 145’0000 de prize money et 50’000 de prime de départ pour Gary Player). L’ASG verse une subvention de 20’000 francs, mais la moitié du soutien financier vient du Club des Mille, réunissant les amis de Crans et du golf. Barras songe à une dotation de 200’000 francs et à un nouveau titre, par exemple Masters européen pour être plus fort face à la PGA américaine et attirer des vedettes des USA, dont une vingtaine sont attendus en 1976. On apprend aussi que Gary Player et d’autres stars se sont plaints de l’indiscipline des spectateurs suisses, qui marchent dans les bunkers et traversent les fairways pendant le jeu …
D’autres chiffres sont également frappants. Selon le magazine «Golf européen», il y a en 1976, 40 millions de golfeurs et golfeuses dans le monde, dont la moitié aux USA, 200’000 sur le continent européen, y compris 9000 licenciés en Suisse,répartis dans 28 clubs. Il existe trop peu de parcours dans notre pays, les listes d’attente sont longues, les finances d’entrée élevées et les préjugés contre ce «sport de riches» ont la vie dure. S’il peine à se populariser en Suisse, le golf est désormais le sport le plus pratiqué dans le monde.
Les tees en plastique et les chaussures à longs crampons sont interdits chez nous. Les premiers bloquent les machines d’entretien et les seconds perforent les greens. Autre nuisance, l’apparition des Discount Mail Orders, qui offrent des équipements de golf à des prix sacrifiés et font une concurrence déloyale aux proshops. L’ASPG met sur pied une formation pour les teaching pros sur la bonne gestion d’un proshop parce que «un proshop bien géré augmente le prestige des clubs».
Otto Dillier déclenche à son tour une polémique avec l’ASG et propose, avec son franc-parler habituel, de nouvelles voies pour la promotion de la relève(7/1977). Les responsables juniors de la fédération, Gregory Trippi et Yves Hofstetter, répondent du tac au tac et décrivent en détail les efforts entrepris pour la promotion des juniors. Cela comprend les camps (10-17 ans), le brevet sportif, les tournois interrégionaux et internationaux, un cadre national (2 camps d’entraînement), 2 coaches (Cotton et Lanz). Ils soulignent également que sans le travail à la base, c’est-à-dire dans les clubs, l’ASG est impuissante. Ils critiquent aussi le home-club d’alors de Dillier (Hittnau), qui ne participe pas à la promotion de la relève et n’autorise même pas ses juniors à participer aux tournois de club.
En 1978, les «Big 3» des années soixante, Jack Nicklaus, Arnold Palmer et Gary Player, annoncent leur retraite progressive. Les taux d’audience à la télévision américaine sont en berne. Les jeunes Espagnols, avec 5 joueurs parmi les 10 meilleurs mondiaux, et surtout Severiano Ballesteros, 21 ans, sont courtisés aux Etats-Unis comme les «sauveurs» du golf.
Le pro valaisan Patrick Bagnoud passe un stage de trois mois au Muirfield Village Country Club de Jack Nicklaus. On apprend que le «Golden Bear» joue au maximum quelques trous par jour, frappe environ 60 balles sur le driving range et s’entraîne peut-être encore une heure avec son coach personnel Jack Grout. Un rythme de vieux briscard ... Un an plus tard, Jack Nicklaus, passionné de pêche, faillit se noyer avec Jackie Stewart (Formule 1) lors d’une tempête près du récif de la Grande Barrière, sur la côte nord-est de l’Australie.
Le cadre national féminin prend son envol avec les trois Romandes Carole Charbonnier, Régine Lautens et Christine de Werra. Carole Charbonnier, qui a grandi en Zambie et s’est installée en Suisse à 16 ans, a notamment remporté le championnat international de Suisse 1978, souhaite passer professionnelle et se qualifier pour la LPGA. Elle cherche des sponsors aux Etats-Unis pour couvrir les frais d’environ 30’000 dollars par saison. Pourquoi l’ASG ne crée-t-elle pas un fonds spécial pour soutenir nos pros sur le Tour, demande Pierre Ducrey (2/1979). Dans le même temps, le Lausannois Francis Boillat passe lui aussi professionnel, même si le métier de teaching ou de playing pro n’est pas encore officiellement reconnu en Suisse. L’ASG et l’ASPG travaillent ensemble à la mise en place d’un cours débouchant sur un brevet. Mais le financement de cette formation n’est pas assuré. Etonnant!
Otto Dillier se retire – «Golf & Country» devient l’organe officiel de l’ASG
Une autre nouvelle fait du bruit à la fin de l’été 1978: après 28 ans à la tête de la revue, Otto Dillier cède la direction de «Golf & Country» à son fils Urs. Dans l’un de ses derniers éditoriaux (5/1978), Dizzy se décrit comme «un vrai natif de la Suisse primitive, au dos large, qui a encaissé toutes sortes de critiques» et ajoute, conciliant: «Je remercie l’ASG qui, après un scepticisme initial, a manifesté d’année en année une plus grande sympathie à l’égard de mon journal, même lorsque j’ai abordé certains sujets qui n’entraient pas forcément dans le concept de l’association, de certains clubs ou personnalités.»
Le fait est que la profonde rupture – environ 30 ans auparavant – entre l’ASG et Otto Dillier, n’a jamais cicatrisé. Il a manifestement fallu que ce dernier démissionne pour que «Golf & Country» soit finalement reconnu comme organe officiel de l’association. Pierre Ducrey, qui a vécu ce conflit de près, explique aujourd’hui: «La revue et en particulier son fondateur et rédacteur en chef Otto F. Dillier ont été victimes d’une profonde hostilité de la part de certains dirigeants de l’ASG. Ce n'est pas seulement la revue qui en a souffert, mais aussi l’ensemble du golf suisse.»
1980–1989
Dans les années 1980, quelques talents suisses passeront professionnels et se distingueront au niveau national et international et font la même expérience: le saut du statut d’amateur à celui de professionnel est énorme et exige beaucoup de travail, de motivation et de force mentale. Francis Boillat, l’ancien caddie de Lausanne, évoque le «rude combat» sur le circuit européen. La Romande Carole Charbonnier, 23 ans, proette depuis 1978, la seule Européenne à avoir obtenu la carte LPGA aux Etats-Unis, trouve «tough» le simple fait de passer le cut.
Voici une rare photo de Bernhard Langer, 22 ans, futur double vainqueur de l’US Masters, en compagnie d’Otto Dillier lors d’un tournoi de golf sur le lac gelé de Saint-Moritz. L’année précédente, l’Allemand avait terminé deuxième aux championnats du monde de golf à Athènes et en Allemagne, l’effet Langerva produire des centaines de milliers de nouveaux golfeurs. Quelques années plus tard, les parcours poussent comme des champignons (1-2/1987), alors qu’en Suisse, la protection de la nature et l’agriculture font toujours de la résistance. Mais Langer sera aussi connu pour son «yips» qui lui coûte souvent des putts en série. Malgré cela, il gagne déjà 300’000 francs sur l’European Tour en 1981. A 67 ans, Langer prendra sa retraite en 2024, après une brillante deuxième carrière sur le Legends Tour.
Quelques mois plus tard, le 31 août 1980, Otto Dillier décède à 59 ans sur un terrain de golf, suite à un arrêt cardiaque. En tant qu’actif, rédacteur en chef et éditeur, il a écrit – avec passion – 30 ans d’histoire du golf suisse. Sa plume critique était aussi appréciée que redoutée. Son cigare et ses couvre-chefs, ainsi que son style de golf peu orthodoxe, étaient légendaires.
Une décennie de golf en Suisse. Le bilan s’appelle stagnation: un seul nouveau terrain (Verbier), le projet de golf public à Onex, sur l’ancien terrain du GC Genève, est enterré. Et si la Migros allait créer un golf public, se demande l’auteure Marina Ducrey? Depuis le début de 1970 le nombre de licenciés de l’ASG est passé de 5002 à 7309, soit un taux de croissance de +31% en dix ans. Genève compte le plus grand nombre d’actifs (600), devant Lausanne (560) et Crans (542). Le nombre de juniors a doublé (955), tous les clubs ont une section junior et depuis 1976, les caddies participent également à l'entraînement junior. Par ailleurs, la presse suisse publie plus de 1000 articles sur le golf en 1980 et l’ASG engage Johnny Storjohann comme secrétaire général à mi-temps. Le journaliste sportif genevois (et attaché de presse de l’ASG) Patrick Favre devient rédacteur en chef de «Golf & Country». Les articles sont désormais publiés parallèlement en allemand et en français (à la place du bilinguisme).
Yves Hofstetter relève une nouvelle fois les difficultés de la promotion de la relève dans un petit pays où le golf reste un sport de niche. A cela s’ajoute le manque de formation pédagogique des teaching pros en Suisse. «L’ASG et l’ASPG doivent s’attaquer ensemble à ce problème», avertit Hofstetter. L’Association des professeurs de golf (ASPG), fondée en 1943, a certes revalorisé le métier, introduit un examen de professeur de golf et compte 70 membres actifs. Mais la situation reste précaire: pour financer la caisse de pension, l’ASPG recherche des membres donateurs pour 40 francs de cotisation annuelle ...
Pierre Ducrey, le rédacteur en chef romand (qui dirige désormais l’Ecole suisse d’archéologie en Grèce et deviendra recteur de l’université de Lausanne en 1987) se retire progressivement du journalisme golfique, mais rédige encore la saga Ballesteros (5/1980) sur le plus jeune vainqueur du Masters de tous les temps (23 ans), qui joue au golf «à la vie, à la mort, à l’instar d’un torero» et met nos nerfs à rude épreuve avec son «flirt téméraire avec la catastrophe, interrompu par des exploits à vous couper le souffle». Comme plus tard son compatriote Jiménez, Ballesteros ne prend pas goût à la vie américaine et ne reçoit guère de primes de départ aux Etats-Unis, contrairement aux stars américaines en Europe. En 1983, Seve remporte déjà son deuxième US Masters. Malgré cela, la superstar espagnole sera exclue du circuit américain en 1985, puisqu’il n’a participé qu’à 9 tournois PGA au lieu des 15 obligatoires.
Lors du Fiat Trophy 1980 à Turin, la Genevoise Régine Lautens fête une première victoire suisse avec sa collègue de club Marie-Christine de Werra. Grâce aux 13 coups d’avance des Ladies, la Suisse remporte le classement combiné par équipe (avec Ivan Couturier et Charles-André Bagnoud) devant l’Italie. Ivan Couturier, 18 ans, est champion de Suisse à la fois chez les hommes et chez les juniors. Avec Markus Frank, Thomas Gottstein, Carlo Rampone, Patrick Bagnoud, Johnny Storjohann, Evelyn et Jackie Orley, Carole Charbonnier, puis Paolo Quirici, Steve Rey, André Bossert et quelques autres, les Suisses brilleront au niveau national et international (voir le chapitre Les highlights sportifs et les plus grands succès suisses).
A Sun City (Bophutatswana), le Las Vegas africain à l’ouest de Johannesburg, se déroule le premier tournoi de golf doté d'un million de dollars. Beaucoup plus prosaïquement, le R&A décide la fin de la petite balle (41,15 mm), qui n'est plus autorisée depuis longtemps aux Etats-Unis. Même dans les tournois britanniques, on ne jouera plus qu'avec la grande balle américaine (42,67 mm) à partir de 1983.
Le système de handicapélectronique venu des Etats-Unis est testé à Genève. Les 20 derniers scores sont saisis par l’ordinateur, qui calcule la moyenne des 10 meilleurs scores. Le SSS du parcours est déduit de la moyenne et multiplié par 0,96 – et le handicap est fixé. Les critiques s’inquiètent surtout du fait que les matchs amicaux comptent également ... Un an plus tard, au début de 1984, le système entre en vigueur dans le monde entier, en même temps que la plus grande révision des règles depuis 1952. Incroyable mais vrai: à l’avenir, les balles ne seront plus droppées à l’envers par-dessus l’épaule!
«L’Open c'est la fête», se réjouit Gaston Barras, qui réussit un grand coup: l’Open de Suisse s’appelle European Masters dès 1983. Le prize money a pratiquement doublé (410’000 francs) et Crans fait partie des trois tournois européens les mieux dotés. Un tiers du budget est financé par le sponsor en tête, les montres Ebel de La Chaux-de-Fonds. «Monsieur Golf» parcourt la moitié du globe pour faire venir des stars à Crans et convaincre l’USPGA de libérer chaque année un certain nombre d’Américains pour le tournoi sur le Haut-Plateau valaisan.
C’est dans une autre ligue que se déroulent les deuxièmes Skins Gamesà Scottsdale (Arizona). Quatre superstars – Jack Nicklaus, Arnold Palmer, Lee Trevino et Tom Watson – s’affrontent pour 300’000 dollars, payés par trou: 10’000 dollars pour les 6 premiers trous, 20’000 pour les 6 seconds et 30’000 pour les 6 derniers. En cas de résultat identique, l’argent reste dans le pot, et Jack Nicklaus empoche ainsi 240’000 dollars pour un putt rentré. Même les Américains n’en reviennent pas! Au moins, l’US PGA Tour verse chaque année environ 10’000 dollars à des projets caritatifs!
La fin d'une époque: Arnold Palmer, 55 ans, renonce à l’Open de St Andrews après 24 ans de fidélité. Fils d’un professeur de golf de Latrobe (Pennsylvanie), hyper populaire et performant, pilote amateur et propriétaire des Arnold Palmer Enterprises, il aime toujours jouer au golf sur le Senior Tour, mais ses affaires ne lui en laissent plus guère le temps.
Pendant ce temps, son ami Jack Nicklaus invente la balle Cayman, qui pèse 20 grammes au lieu de 45 et qui vole deux fois moins loin que les balles de golf traditionnelles. En d’autres termes, les terrains de golf pourraient être deux fois plus petits, 20 hectares au lieu de 50, et un tour serait bouclé en 90 minutes. Pourquoi ne pas construire des parcours de golf publics pour les balles Caymandans notre petite Suisse? demande Patrick Favre en reprenant un long reportage de «Golf Monthly» (3/1986). En 1986, à 44 ans, Nicklaus remporte son sixième US Masters – mais pas avec des balles Cayman!
José-Maria Olazàbal remporte l’Ebel European Masters 1986. Mais c’est la menace de la PGA d’annuler le titre de Masters à Crans si certaines mesures n'étaient pas prises qui fait la une des journaux. Les reproches concernent l’indiscipline du public, l’absence de barrières et le nombre insuffisant de panneaux d’affichage sur le parcours. D’autres problèmes pour le plus grand tournoi de golf de Suisse (malgré une dotation record de 830’000 francs) sont également les tournois d’exhibition lucratifs qui se déroulent en même temps, comme le Ford Classic à Paris qui, en 1987, détourne même le fan du Valais Ballesteros. Deux ans plus tard, Seve se fait pardonner son infidélité en remportant l’Ebel European Masters 1989 pour la troisième fois. Par ailleurs, Crans a fait ses devoirs: 15 kilomètres de cordes ont été tendues autour des fairways et trois panneaux d’affichage électroniques ont été installés.
En 1989, c’est aussi le néo-pro tessinois Paolo Quirici, 21 ans, fait sensation à Crans. Il se bat pour la victoireet termine à une sensationnelle quatrième place, avec le meilleur tour final (65), à seulement quatre coups du vainqueur Ballesteros. Dix semaines plus tôt, le Tessinois avait égalé le record de parcours (60) au Mémorial Oliver Barras. Comme toujours, le diabétique a dû s'injecter de l'insuline pendant la compétition! Quirici rejoint désormais le groupe de Steve Rey, Yves Auberson et Kim Baradie, qui veulent gagner leur vie sur le Tour.
Régine Lautens, 27 ans, devient à son tour proette sur l’European Tour, où elle retrouvera en 1988 Carole Charbonnier, de retour en Europe après huit ans de lutte sur le LPGA. Un an plus tard, Evelyn Orley (après quatre ans de College golf) devient elle aussi proette aux Etats-Unis, avec un contrat de quatre ans signé par Marc Biver Management. «Les études peuvent attendre», dit la Zurichoise (6/1989), et aborde sa première année de proette avec deux victoires (Open de Singapour et European Tour à Bonmont).
Et voici une proette pas comme les autres, Madame Ohya, 68 ans, collants roses et robes à volants, propriétaire, à Osaka, de deux parcours de golf hyper modernes, équipés de rails pour les voiturettes et de tapis roulants pour accéder aux greens. Comment cette sexagénaire richissime a-t-elle pu se qualifier sur le circuit américain? C’est juste une question sans arrière-pensée… car le fait est que le LPGA Tour s’est remis de sa quasi-faillite (en 1975), distribue désormais 12 millions de dollars par an (contre 40 millions sur le PGA Tour masculin) et est retransmis en direct depuis 1982. Tout de même !
Un terrain de golf peut-il sauver un village qui se meurt? Telle est la question posée à Selva près de Sedrun (GR), dans la vallée du Rhin, où le dernier agriculteur va bientôt mettre la clef sous le paillasson. Une association confie à Don Harradine la conception de 18 trous qui seront inaugurés en 1997. La réponse à la question ci-dessus est donc oui: le village de Selva, incendié et enseveli sous des avalanches à deux reprises, et le parcours de golf de Sedrun existent encore aujourd'hui!
Johnny Storjohann, golfeur d’élite d’origine suédoise, six fois champion de Suisse, n’est pas devenu pro sur le Tour mais secrétaire général de l’ASG et de l’AEG (aujourd'hui EGA) et pionnier à plusieurs niveaux (6/1989). Homme-orchestre au sein de l’ASG, il gère le budget, le sponsoring, le calendrier des tournois, les juniors, le handicapping, l’ordre du mérite, le contrôle antidopage, etc. Et que faire lorsque la Suisse peine à trouver des joueurs pour les championnats d’Europe qui vont avoir lieu au Pays de Galles? Certains joueurs sont passés professionnels (Quirici, Auberson, Bossert, Scopetta), d’autres doivent passer des examens (Gottstein), écrire une thèse (Frank) ou construire une maison (Vonlanthen). La situation est similaire chez les femmes. En 1990, Storjohann reçoit du renfort grâce à un poste à 50% pour la promotion des juniors, qu’occupera la proette tessinoise et professeure de sport Carlotta Vannini. En 1991, le secrétaire général de l’ASG obtient un plein-temps, un nouveau bureau et une secrétaire.
1990–1997
Au cours de ces sept années, «Golf & Country» connaîtra plusieurs changements d’éditeurs, de rédacteurs en chef et de mise en page, où l’on remarque surtout les photos couleur pleine page. En 1992, le mécontentement croissant des lecteurs à l’égard du bilinguisme fait qu’on publie désormais deux éditions à part, en allemand et en français. Et de surcroît, Urs Dillier fusionne la revue avec le mensuel «GOLF Magazin», qui lui appartient aussi.
En Union soviétique, la perestroïka est en marche et le Tumba Golf& Business Club ouvre ses portes à 15 minutes du Kremlin. Pas pour le peuple, car la cotisation annuelle coûte 2000 dollars, un green fee 90 roubles (15 dollars), soit plus d’un tiers du salaire mensuel moyen de 240 roubles. Parmi les membres d’honneur on trouve, entre autres, Gorbatchev et sa femme Raïssa, Seve Ballesteros et Pelé.
Gaston Barras devient président de l’ASG et fixe des priorités: créer de nouveaux parcours, communiquer à fond dans les milieux de la politique et du tourisme, intensifier la discussion avec les opposants (agriculture, WWF, Verts). Notre pays est devenu une sorte de pôle opposé à la commercialisation totale en vigueur aux Etats-Unis, où l’industrie et l’économie sont complètement engagées dans le golf. Sans argent, rien ne va! Les sponsors patientent sur des listes d’attente, on s’arrache les publicités télévisées pendant les tournois. Et à Crans, il n’y a toujours pas de retransmission tv en direct ...
Voici encore quelques chiffres à ce sujet (1990): 23 millions jouent au golfaux Etats-Unis, (12% de la population, 5886 terrains), 850’000 en Angleterre (1,5%, 2000 terrains), en Suède 250’000 (3%, 220 terrains), et 17'000 en Suisse (2,6 pour mille, 40 terrains). Dans les pays cités, les clubs ont plus de 1000 membres actifs, mais il semblerait que bien des clubs suisses ne souhaitent pas dépasser le nombre de 600 actifs (6/1991)… L’ASG publie une brochure sur la construction de parcours de golf et milite pour des golfs publics afin de réduire les listes d’attente et les préjugés. Mais ce qui est nouveau, c’est que les écologistes et les représentants du golf discutent de plus en plus ensemble.
L’architecte de golf Mario Verdieri dénonce pour sa part l’étroitesse d’esprit des protecteurs de la nature (11/1991). Tous les terrains de golf existants et planifiés représentent moins de 1% de la surface de la Suisse. La construction d’un golf est une atteinte à la nature, concède-t-il, mais elle crée aussi de nouveaux habitats pour les espèces animales les plus diverses. Voici la réponse du zoologue Pierre-Alain Oggier: le golf est proche de la nature, mais de nombreuses espèces animales ne peuvent s’adapter ni à l’agriculture moderne ni aux terrains de golf. Tous les projets qui touchent aux marais, aux prairies maigres ou aux biotopes sont à rejeter. Les terrains de golf doivent si possible être construits dans des zones d’agriculture intensive. C’est ce qui se passera lors du grand boom en vue.
En 1992, l’ASG crée la Swiss Golf Foundation dans le but de soutenir le golf. Le Swiss Golf Team (sponsor principal: Credit Suisse), composé d’une douzaine de proettes et de pros, est mis sur pied et obtient rapidement des succès remarquables sous la direction du coach Jan Blomqvist. (voir chapitre Swiss Golf Foundation, à la base du boom de constructions)
En 1993, le golf de Crans-sur-Sierre fête son 90e anniversaire. Petit rappel historique: en 1906, les premiers 9 trous sont créés grâce à Sir Henry Lunn qui trouva à Crans «le meilleur gazon en dehors de l’Angleterre». Trois ans plus tard, les seconds 9 suivent. Pendant la Première Guerre mondiale, le terrain redevient un pâturage; en 1919, réouverture avec 9 trous, transformés en 1926 par l’architecte Nicholson de Manchester en un parcours 18 trous; en 1939, le premier Open de Suisse a lieu à Crans. Il est aussitôt interrompu pendant la Seconde Guerre mondiale. En 1950, 9 trous supplémentaires sont créés, que Jack Nicklaus redessinera en 1985. A cela s’ajoute un Pitch&Putt à Super Crans. A partir de 1995, Severiano Ballesteros modifiera plusieurs fois le parcours de Crans-sur-Sierre (et lui donnera son nom), notamment pour le rendre plus difficile et éviter des scores trop bas.
En 1994, une «perle noire» du nom de Tiger Woods fait la une des journaux. Le triple champion amateur américain bat tous les records de Jack Nicklaus au même âge. Deux ans plus tard, le jeune homme de 20 ans devient professionnel et signe un contrat de 40 millions de dollars avec Nike. Ce n’est qu’un modeste début!
En 1995, un vent nouveau souffle sur le golf suisse. Eugen Hunziker, patron des coopératives Migros, prévoit cinq ou même six nouveaux golfs publics. Le premier, à Holzhäusern, ouvre ses portes à Pentecôte avec un parcours 18 trous, une boucle d'entraînement de 9 trous, une académie et un golfodrome de 140 places loués 10 francs la journée. Une révolution dans le golf suisse!
Greg Norman, l’initiateur controversé du LIV Golf Tour financé par l’Arabie saoudite de nos jours, avait déjà semé le trouble en 1995 avec un projet (soutenu par un autre Australien, le magnat des médias Rupert Murdoch) appelé World Tour avec 40 joueurs, 8 tournois et 25 millions de prize money. A l’époque, il y avait évidemment beaucoup moins d’argent en jeu que les milliards distribués sur le LIV Tour actuel, mais le principe était le même: concurrencer et affaiblir l’US PGA et l’European Tour. Contrairement à aujourd’hui, aucun des collègues de Greg Norman n’avait alors mordu à l’hameçon – et le projet a échoué.
En 1996, Golf & Country adopte – encore timidement – Internet et ouvre une home page, tandis que l’ASG possède désormais une boîte aux lettres électronique, ce qui facilite considérablement les contacts avec les clubs. Il faudra toutefois attendre encore un peu avant que les galeries photos en couleur sur plusieurs pages du journal avec des stars du golf montrant le déroulement de différents coups, soient remplacées par des vidéos sur le smartphone!
Triste nouvelle à l’automne 1996: Jan Blomqvist, le coach extraordinaire du Swiss Golf Team, meurt dans un accident chez lui en Suède. Le Français Hervé Frayssineau lui succèdera au début de l’année 1997.
Tiger Woods – le plus jeune vainqueur de tous les temps à 21 ans – remporte l’US Masters 1997 avec 12 coups d’avance, renvoyant ses collègues au rôle de figurants. Seve Ballesteros manque même le cut ... comme le temps passe! La guerre froide touche à sa fin, la preuve: les clubs de golf des marques américaines sont désormais fabriqués avec du titane russe.
Après 47 ans, la fin de «Golf & Country» approche également, avec l’arrivée au début de l’année 1998 d’une jeune rivale, le magazine fait maison de l’ASG «GOLF Suisse». Les deux publications paraissent encore en parallèle pendant 1998, car la transition fut loin d'être harmonieuse et n’a finalement pu être réglée qu’après un litige en justice.
Vous trouverez des détails à ce sujet dans le chapitre L’histoire du golf suisse. Un magazine maison à partir de 1998